EDE – Mises en garde

En Défense de l’Entraînement (EDE) est un essai sur la contribution de l’entraînement à un monde en crise. L’article précédent, Compter les corps, est disponible ici.


Science

À de nombreuses reprises pendant la rédaction de ce projet, j’ai dû vérifier que je ne délirais pas.

Les conclusions auxquelles j’arrivais étaient si démesurées dans leurs implications (des millions de morts inutiles et plusieurs fois ce nombre en problèmes de santé à long terme dus à l’erreur de compréhension du mode de transmission du virus, en plus de la multitude de maladies chroniques évitables, à la perte de fonction et de productivité dû à la l’élimination de l’activité physique) que je doutais fréquemment qu’il était même possible que le problème ne soit pas déjà connu et une solution déjà en action.

Le processus de recherche et d’écriture m’a certainement donné l’impression de tirer sur un fil menant à la déconstruction massive de ce qui était pris pour acquis par rapport à l’entraînement et la pandémie. Alors la première mise en garde que je souhaite mettre de l’avant est que je suis conscient de l’ampleur de certains de mes propos, mais que parce que je n’ai tout simplement pas trouvé de moyen de les invalider, je les maintiens jusqu’à preuve du contraire.

Et je souligne que j’invite activement toutes preuves menant à démontrer que l’entraînement n’a aucun effet bénéfique sur la santé (ou que sa pratique est en fait nocive), et que le mode de transmission dominant du SRAS-CoV-2 n’est pas par inhalation d’aérosols. Considérant les conséquences de la pandémie et de l’inactivité physique, le besoin de l’égo à avoir raison est sans importance en comparaison à notre besoin de baser nos décisions sur des faits enlignés avec la réalité.

Sur le sujet des faits, je crois qu’il est pertinent de mentionner que la science entourant les modes de transmission du SRAS-CoV-2 a connu une évolution absolument fulgurante au cours des deux dernières années. J’ai œuvré à intégrer les données les plus crédibles et les plus à jour, mais la publication presque quotidienne d’études, jumelée à la nécessité de circonscrire ma propre recherche dans le temps, fait qu’une partie des données seront nécessairement désuètes au moment où ces lignes seront lues. En ce sens, ce projet devrait être lu en gardant en tête que les références utilisées ici sont une représentation des données disponibles au début de 2022.

Pour limiter l’impact de ce rythme de recherche sans précédent, j’ai consciemment tenté de baser mon processus de réflexion non pas sur l’exactitude d’une quantification, mais plutôt sur les principes sous-jacents aux données. Ces principes sont peut-être plus généraux, mais ils sont plus robustes dans le temps.Par exemple, il est moins important de précisément connaître la durée de vie du SRAS-CoV-2 dans l’air que de savoir qu’il peut y survivre assez longtemps pour être transporté par des particules aériennes et inhalé.

En même temps, il est aussi nécessaire de reconnaitre à quel point mes qualifications sont loin de celles qui seraient attendues de quelqu’un qui s’attaque à un problème qui relève essentiellement de la virologie.

Je ne suis pas un scientifique de renommée mondiale, ni un chercheur avec une position académique, ni un praticien médical. Je suis un propriétaire de petite entreprise et un entraîneur, en proie à des frustrations causées par ce que j’ai perçu comme des incohérences allant manifestement à l’encontre des connaissances fondamentales, mais limitées, dont je disposais. D’un point de vue objectif, décortiquer le risque de transmission du SRAS-CoV-2 était bien au-delà de mon champ de compétence.

Pire, en essayant de comprendre à partir de principes de base, en tentant d’avancer de certitude en certitude, j’en suis venu à voir que le problème était formidablement plus vaste et complexe que de simplement identifier des sources crédibles d’information pour connaître les faits. Il est devenu apparent que notre compréhension de la transmission du SRAS-CoV-2 était affectée par un problème qui dépasse la virologie, inextricablement lié à des bévues historiques, à des erreurs de jugement, aux tendances humaines qui les causes, et à un dogme si profondément ancré chez la communauté médicale et scientifique qu’aucune preuve ne serait suffisante pour l’invalider.

Alors malgré mon engagement à défendre l’entraînement, tenter de démêler la situation a souvent semblé une tâche absolument inappropriée pour quelqu’un comme moi.

Deux choses m’ont convaincu de mener ce projet jusqu’au bout.

Premièrement, même mes meilleurs efforts n’ont pas réussi à invalider mon intuition. Plus je cherchais, plus je me rendais compte de la fragilité des arguments supportant le modèle généralement accepté du mode de propagation de la pandémie. Ce modèle violait plusieurs observations empiriques et principes physiques fondamentaux, et j’ai été poussé à continuer par la conviction qu’il était préférable de croire en ces principes que de croire aveuglément en l’autorité des institutions qui les ignoraient.

La science n’est pas faite pour qu’on lui fasse confiance. Elle est faite pour être testée. Elle gagne à être mise à l’épreuve. Elle est antifragile. L’acte de questionner les connaissances prises pour acquis, de relever des incohérences d’un modèle et de tenter d’en comprendre les causes, n’est pas un manque de respect pour la science. Au contraire, ce questionnement est son point de départ. Isaac Asimov a écrit avec justesse que « la phrase la plus excitante en science, celle qui annonce de nouvelles découvertes, n’est pas “Euréka!” mais plutôt “C’est étrange…”.

Il est néanmoins impératif de savoir que je n’ai absolument rien découvert moi-même. Je n’ai mené aucune recherche fondamentale. Je me suis plutôt basé sur les travaux scientifiques disponibles à tous ceux ayant accès à une connexion internet. Les données contenues dans ce projet ont donc été recueillies, analysées, discutées et approuvées pour publication dans des revues scientifiques par d’autres individus plus qualifiés que moi. D’une certaine manière, je n’ai que rassemblé les pièces de puzzle que d’autres avaient déjà identifiées, et ce projet est ma tentative d’en construire un ensemble cohérent pour défendre l’entraînement.

Le deuxième élément qui m’a poussé à mener ce projet à terme est que j’ai été encouragé par l’idée qu’un amateur peut parfois avoir un avantage décisif lorsque, contrairement aux experts, il est directement affecté par le problème en question, et poursuit en conséquence une solution avec un mélange de passion impliqué et de curiosité insatiable. Il arrive aussi qu’un amateur ait le dessus sur des experts lorsque l’absence d’une pensée formatée par la spécialisation mène justement à la perspective nécessaire pour voir la solution. La spécialisation possède définitivement son utilité, mais je crois que l’apport de la multidisciplinarité est sous-estimé et sous-utilisé dans notre société.

Franklin

Benjamin Franklin est un des exemples les plus marquants de cette possibilité. Quoiqu’il soit aujourd’hui souvent perçu comme un brillant scientifique de son époque, Franklin s’est lui-même toujours qualifié d’éternel amateur multidisciplinaire. Sa grande force était justement sa curiosité et sa passion à comprendre les problèmes qui l’entouraient sans se soucier des limites imposées par un domaine scientifique spécifique.

Incroyablement, les observations de cet éternel amateur peuvent encore nous être utiles aujourd’hui, dans la pandémie de la Covid-19.

Il y a 250 ans, avant même la théorie des germes et la découverte des virus, Franklin a raisonné que le rhume commun n’était pas transmis par l’exposition au froid (une croyance encore présente de nos jours) parce qu’il avait de nombreuses fois voyagé dans l’hiver américain sans en être malade. Par observation, il a plutôt déduit que le rhume était possiblement transmis par contagion, plus spécifiquement par inhalation d’air partagé avec un malade, souvent en étant à proximité de celui-ci dans un environnement fermé et mal ventilé.

Vue sous l’angle de la pandémie, la biographie écrite par Walter Isaacson révèle une scène d’une pertinence déconcertante. Franklin, en mission diplomatique avec John Adams (qui est par la suite devenu le second président de l’histoire des États-Unis), a été pris dans une auberge si pleine qu’ils ont dû partager une chambre et un lit. Adams souffrait d’un rhume, et parce qu’il craignait l’air de la soirée, a fermé la fenêtre de la chambre. Dans son journal, Adams a consigné la réaction de Franklin :

 « Oh! Ne fermez pas la fenêtre. Nous serons suffoqués. L’air à l’intérieur de cette chambre sera bientôt, et est en effet maintenant, pire que celle à l’extérieur. Venez! Ouvrez la fenêtre et venez au lit, et je vous convaincrai. Je crois que vous n’êtes pas familier avec ma théorie sur les rhumes. » Après quoi Adams a noté : « Le Docteur a ensuite débuté une harangue, à propos de l’air et du froid et de la respiration et de la transpiration, avec laquelle j’ai été si amusé que je suis rapidement tombé endormi, et l’ai laissé lui et sa philosophie ensemble. »

La fenêtre est finalement restée ouverte.

Franklin n’a pas été infectée par le rhume de John Adams.

Nous savons maintenant que le rhume est causé par des virus respiratoires, principalement certains rhinovirus, adénovirus et coronavirus. Pourtant, la communauté médicale résiste encore la possibilité de transmission aérienne du rhume, et avec elle les observations de Franklin qui sont tout aussi valables aujourd’hui qu’il y a deux siècles et demi. Franklin ne comprenait peut-être pas la cause biologique du rhume, mais, par raisonnement, il avait probablement compris son mode de transmission.

Je ne me compare aucunement à Franklin. Je crois cependant que, même en 2021, il approuverait d’user de multidisciplinarité et de logique pour comprendre les problèmes de notre époque.

Alors si j’ai persévéré, c’est en partie parce que j’ai été profondément affecté par la situation et proportionnellement investi à comprendre une solution, mais aussi parce que j’ai cru pouvoir contribuer à travers ma propre perspective d’amateur multidisciplinaire.

Perspective

Évidemment, être entraîneur et propriétaire d’un gym me met en contact étroit avec les effets de l’entraînement. Chez mes membres, je vois quotidiennement les effets d’élimination de douleurs chroniques, de perte de poids, de réduction du stress, d’augmentation d’énergie, de qualité de sommeil, de condition physique et donc de fonction. Pour certains, cette différence permet l’autonomie; parfois quelque chose d’aussi simple que d’être capable de se lever d’une chaise pour aller se chercher un verre d’eau. Pour d’autres, l’entraînement permet l’équilibre nécessaire à la survie psychologique du quotidien. Et cela ne sont que les effets immédiats. Les effets à long terme sont présents, mais par définition plus difficiles à en percevoir la lente progression. Alors, par rapport aux effets de l’entraînement, ma perspective est définitivement influencée par mon expérience professionnelle.

Mais j’ai aussi une perspective inhabituelle par rapport au risque. Avant d’avoir ma propre entreprise, j’étais principalement occupé à être instructeur en expédition. J’étais entre autres responsable d’enseigner et de superviser les compétences techniques nécessaires à évoluer de façon sécuritaire dans les montagnes, sur les glaciers, en forêt et sur les rivières, en été comme en hiver. Dans ces environnements, le risque est inhérent à l’activité; il est impossible de l’éliminer, mais il est possible de le gérer.

Ma relation au risque est donc celle de comprendre ses sources et les compétences nécessaires pour les contrôler, puis de peser les bénéfices de s’exposer au risque contre les conséquences de sa concrétisation. Parfois, le risque est élevé, incontrôlable, et les conséquences dramatiques; permettre à un débutant de grimper sans corde une falaise de roche friable risque fort probablement de mener à une chute mortelle. La seule réponse raisonnable à cette situation est de l’éviter entièrement, d’éliminer le risque.

Mais cela ne veut pas dire que la pratique de l’escalade doit être proscrite. Une fois les risques compris, un minimum de compétence permet à un débutant de grimper une falaise de granite bien nettoyée en étant assuré par le haut avec un système redondant de protection. Le risque devient alors faible, contrôlable, et les conséquences minimales. Dans ces conditions, une chute mène plutôt une frousse momentanée, et peut-être un genou égratigné.

Alors, pour moi, l’élimination du risque n’est pas souhaitable sans réflexion sous-jacente, parce que cela garantit aussi l’élimination de l’utilité reliée à son exposition. À l’échelle individuelle, cela signifie l’absence de possibilité d’apprentissage et de développement. J’adhère donc à la vision que de maîtriser le risque est préférable, parce que tenter de le supprimer nous expose souvent à des conséquences pires que celles du risque initial.

L’incompétence. La peur. La stagnation. La vulnérabilité.

L’entraînement est d’ailleurs un excellent exemple de cette réalité. Il existe des risques de blessure musculosquelettiques à l’entraînement, mais il est possible, par une programmation adaptée et une supervision compétente, de minimiser ces risques au point où ils sont faibles, contrôlables, et leurs conséquences minimales. Ces risques sont certainement préférables à la certitude de dégénérescence et de maladies chroniques reliées à l’inactivité.

Alors mon passé d’instructeur et de leader en expédition fait en sorte que je perçois le risque comme étant une équation à considérer et non comme quelque chose à éviter à tout prix. Cette équation doit prendre en compte non seulement l’existence du risque, mais aussi son importance, la possibilité de le contrôler, ses conséquences, et la comparaison de la même séquence du choix opposé.

Avec le temps, ce processus de décision s’est intégré dans ma façon de penser au point d’en être inconscient, et c’est peut-être en partie pourquoi le traitement de l’entraînement en temps de pandémie m’a semblé si intuitivement inapproprié. Ce qui est certain est que cette vision du risque a définitivement influencé le fil conducteur de ce projet.

D’une certaine façon, cette perspective est probablement la source principale de ma contribution à défendre l’entraînement.

Politique

Défendre l’entraînement a voulu dire de décortiquer certaines positions, décisions et actions de politiciens, de gouvernements, et d’organisations de santé publique. Si je critique ces instances, c’est parce que je crois en leur utilité; elles sont les seules avec le pouvoir et la portée nécessaire pour instaurer des mesures ayant un impact à l’échelle d’une nation.

Alors malgré ma frustration devant certains manquements qui me sont devenu évidents à travers ce projet, je tiens à préciser que j’accorde énormément de valeur à nos institutions publiques. Sans elles, et sans ceux qui en assurent le fonctionnement, la pandémie aurait plongé la société dans un chaos incommensurable.

Je reconnais aussi la difficulté de la position de nos leaders politiques et gestionnaires publiques en temps de pandémie. J’ai moi-même été mis à l’épreuve en gérant une équipe de seulement quelques personnes dans une petite entreprise, je ne peux donc qu’imaginer le poids de mener une grande organisation publique ou même un pays à travers cette situation.

J’ai donc œuvré pour que mes critiques ne soient pas arbitraires, qu’elles ne soient pas simplement une manifestation de colère et de rogne improductive. Il y a suffisamment de flambées d’opinions non appuyées dans notre société. Mes efforts de recherche et de réflexion avaient donc pour objectif de donner une certaine validité à mes propos, et, surtout, de les rendre constructifs.

Au-delà de la pandémie, au-delà de l’entraînement

La dernière mise en garde que je souhaite communiquer est que même si la Covid-19 a été le catalyseur pour ce que vous êtes en train de lire, les réflexions contenues dans ce projet ne se limitent pas à la pandémie elle-même.

Les fondements de ces réflexions sont sur le rôle de l’entraînement dans notre société, et des conséquences qui résultent de la place que nous lui accordons. D’une certaine façon, la pandémie a amplifié et permis de mettre en lumière des problèmes par rapport à la perception de l’entraînement, à la reconnaissance de ses effets, et à son intégration dans notre système politique et légal.

La pandémie de la Covid-19 est donc la toile de fond de ce projet, mais les problèmes affectant l’entraînement étaient là avant, et seront là après si nous ne faisons rien. La Covid-19 a créé la tempête parfaite pour révéler que, comme société, nous n’accordons aucune valeur à l’entraînement, et que nous en subissons les conséquences. Dans ces circonstances, défendre l’entraînement est apparu pour moi comme une nécessité évidente.

Mais ce qui était inattendu est que, dans le processus, j’ai découvert non seulement que la pandémie est une excellente lentille pour comprendre les problèmes de l’entraînement, mais que l’entraînement est aussi une excellente lentille pour comprendre la pandémie. Parce que j’en suis venu à juger que si le risque de l’entraînement peut être adéquatement contrôlé, la pandémie elle-même peut l’être aussi.

En d’autres mots, je crois réellement que l’entraînement peut contribuer à résoudre la pandémie de la Covid-19, et rendre nos environnements intérieurs plus sains et sécuritaires pour le futur.

Défendre l’entraînement veut donc dire de ne pas ignorer ses bénéfices pour la santé de la population, mais aussi de ne pas balayer du revers de la main ce que l’entraînement peut nous apprendre d’utile pour nous guider à travers cette crise planétaire.

Ce projet est donc moins unidirectionnel dans son utilité que j’aurais initialement cru.


En Défense de l’Entraînement (EDE) est une réflexion sur la contribution de l’entraînement à un monde en crise.

À propos de l’auteur

ÉTIENNE BOOTH

Fondateur d’Engrenage, Étienne partage le plus gros de son temps entre ses rôles d’entrepreneur et d’entraîneur. Son passé d’instructeur en plein air lui a appris sur l’humain et les groupes. Son M. Sc. en médecine expérimentale lui a appris à être critique devant la science et lui a ouvert l’opportunité d’enseigner la psychologie sportive à l’Université du Québec à Chicoutimi. Engrenage lui permet de mettre en œuvre l’ensemble de ses expériences.