Comment professionnaliser l’entraîneur

Depuis 5 ans maintenant, je suis est en grande partie occupé à concrétiser le projet d’Engrenage. Le fait d’être constamment immergé dans un projet influence inévitablement notre perspective et nous permet d’aiguiser nos sens aux subtilités nécessaires pour son avancement. Cette spécialisation crée naturellement un écart de perspective avec ceux qui sont externes au projet. Alors lorsque je dis que je travaille à créer un « gym » rempli « d’entraîneurs professionnels », la vision générée par l’interprétation de mes paroles risque d’être extrêmement différente de ma propre vision.

Je prends donc sur moi la responsabilité de clarifier cette vision, une tâche particulièrement importante si nous voulons attirer d’excellents entraîneurs qui partagent cette même vision pour s’ajouter à l’équipe d’Engrenage.

Le potentiel de changer le monde

Cet article s’adresse particulièrement aux individus qui considèrent s’investir dans une carrière d’entraîneur chez Engrenage, mais reste pertinent pour quiconque s’intéresse au potentiel et aux défis reliés à professionnaliser l’entraîneur.

Engrenage est basé entres autres sur la croyance que la profession d’entraîneur possède le potentiel de changer le monde. Nous croyons qu’un entraîneur professionnel peut avoir un impact positif immense sur la santé physique et psychologique, sur la productivité et sur le bonheur de chaque individu sous son aile, et par extension, de la société dans son ensemble. Mais nous croyons aussi que l’entraîneur est sous-utilisé, que le potentiel de la profession n’est pas réellement exploité.

Le problème

À notre avis, le problème vient du fait que la quasi-totalité des modèles d’affaires des gyms présente au moins deux obstacles majeurs à la concrétisation de ce potentiel; 1. La structure de l’entreprise n’est généralement pas orientée vers la relation coach/membre à long terme et 2. Il est habituellement impossible pour un entraîneur de recevoir une rémunération professionnelle (plus sur ce que nous voulons dire par « rémunération professionnelle » un peu plus loin).

Relations long terme et rémunération professionnelle

Parce que si un entraîneur ne peut pas prendre le temps de travailler sur les aspects de fonds de la santé et de la capacité physique à travers une relation professionnelle à long terme, l’impact de ses efforts est nécessairement diminué et son sentiment d’accomplissement professionnel risque fort d’en être réduit. Et si en plus l’entreprise ne permet aucune chance de gagner un salaire décent pour assurer un futur financier raisonnable, il est facile de concevoir pourquoi la carrière moyenne des entraîneurs est de courte durée.

L’effet secondaire de cette courte carrière est que les entraîneurs ne se rendent jamais au sommet de leur compétence, qui peut seulement être atteint à travers de nombreuses années d’expérience et de formations continues. Et de toute façon, à quoi bon, s’ils ne peuvent mettre en action ces compétences qu’avec un flot changeant de relations professionnelles de surface et à court terme.

Réussir ensemble, ou pas du tout

Nous voulons renverser tout ça. Nous croyons qu’il existe un mutualisme obligatoire entre le succès de l’entraîneur, du membre et de l’entreprise. En d’autres mots, si nous mettons en place les conditions pour que l’entraîneur soit gagnant, le membre et l’entreprise en bénéficient. Comme propriétaire d’Engrenage, je suis convaincu de ce lien au point de miser le succès économique du projet; la structure de l’entreprise est faite de sorte que la stabilité financière d’Engrenage (et donc la mienne) est directement liée à celle des entraîneurs. Nous allons réussir ensemble, ou pas du tout.

Rémunération professionnelle

Conditions de vie, en termes clairs

Par rémunération professionnelle, nous faisons référence à une rémunération qui permet une carrière en supportant des conditions de vie à long terme comparable aux autres professionnels de la région. En termes clairs, cela veut dire pour nous de gagner suffisamment d’argent pour avoir accès à l’achat d’une maison, contribuer à supporter une famille et avoir assez de surplus pour profiter de vacances et préparer une retraite adéquate.

Un entraîneur professionnel chez Engrenage est responsable de ses membres et reçoit un pourcentage du revenu généré par ceux-ci. Cette façon de faire incite à augmenter la qualité du service rendu aux membres, mais permet surtout à l’entraîneur d’être rémunéré proportionnellement aux efforts déployés. Avec cette structure, un entraîneur chez Engrenage peut espérer recevoir entre 50 000$ et 100 000$ annuellement une fois qu’elle ou il sature sa capacité à adéquatement répondre au besoin de ses membres.

Nous savons que de gagner 50 000$ annuellement est possible parce qu’un premier entraîneur va atteindre ce rythme de rémunération d’ici la fin de 2019.  En comparaison, une rémunération de 100 000$ par année peut sembler élevée, et bien que je doive souligner que cela apparait être près de la limite de ce qu’un entraîneur peut soutenir comme charge de travail à long terme, je compte personnellement mettre en place les conditions pour démontrer que cela est possible. Une rémunération intermédiaire de 75 000$ annuellement semble cependant venir avec une charge de travail tout à fait soutenable.

Comparaison objective

Si nous comparons cette rémunération au salaire moyen des entraîneurs au Canada, qui s’élève à environ 38 000$ / année1,2, nous pouvons objectivement prétendre offrir largement au-dessus de la moyenne pour la profession d’entraîneur, même à notre limite inférieure de rémunération.  Mais, c’est en comparant au revenu d’emploi médian sur le territoire de la Ville de Saguenay de 40 706$ / année3 que nous pouvons réellement prétendre donner accès à une rémunération professionnelle.

Le coût de la vie à Saguenay étant ajusté aux salaires de la région, nous croyons qu’une fois le cap du 50 000$ annuel passé, le surplus devrait permettre de dégager le nécessaire pour progressivement accéder à une qualité de vie raisonnable et une stabilité financière à long terme. C’est ce que nous voulons dire par rémunération professionnelle.

Conditions professionnelles

Mais bien que le revenu soit un aspect important, il n’est assurément pas la seule variable à considérer si notre but est de permettre une longue carrière à nos entraîneurs pour qu’ils puissent, à leur tour, maximiser leurs compétences et la qualité du service donné à leurs membres. Nous croyons qu’il faut nécessairement que le rythme de travail soit soutenable de semaine en semaine, et que la structure permette des périodes de repos à travers l’année pour se ressourcer.

Rythme de travail soutenable à long terme

Pour qu’un entraîneur maintienne le revenu indiqué plus haut, nous savons qu’il devra travailler entre 20 et 25 heures par semaine « sur le plancher ». À cela s’ajoute le temps de préparation, de tenue de dossiers, de suivis, d’entretien, de rencontre avec l’équipe et de démarches de marketing, qui totalise entre 5 et 10 heures par semaine. Au final, un entraîneur professionnel chez Engrenage travaille normalement entre 25 et 35 heures par semaine. À première vue, cette charge de travail semble extrêmement raisonnable en comparaison au traditionnel 40 heures par semaine. Mais il faut considérer ici qu’il est impossible d’avoir l’attention nécessaire pour coacher plus de quelques heures en ligne sans diminuer la qualité du service, en plus du fait que l’horaire d’un entraîneur est souvent fragmenté vers les périodes de forte demande. Tout compte fait, ce 25 à 35 heures par semaine représente un travail à temps plein. 

Faire partie d’une équipe ajoute à la liberté

Cependant, chaque entraîneur gère en grande partie son propre horaire et, avec un peu de discipline, peut structurer celle-ci à son avantage. Elle ou il est donc libre, même encouragé, à concentrer son temps « plancher » soit en début ou en fin de journée pour éviter de terminer ses journées tard, débuter ses journées tôt et conséquemment,  « brûler la chandelle par les deux bouts ». D’autre part, le fait de faire partie d’une équipe d’entraîneurs offre l’avantage de pouvoir se relayer pour répondre à la demande au courant de la journée, mais permet aussi et surtout une grande flexibilité dans l’organisation des congés.

Nos entraîneurs reçoivent un pourcentage du revenu généré par leurs membres. Leur rémunération est donc liée au service rendu et non aux heures travaillées. Un entraîneur peut donc concentrer ses suivis, échanger certaines responsabilités avec les autres membres de l’équipe et organiser son horaire dans le but de prendre une période de vacances tout en continuant d’être rémunéré. Le fait que chaque entraîneur soit individuellement responsable de ses membres tout en faisant partie d’une équipe ajoute définitivement à la liberté et à la qualité des conditions de travail.

Processus

En tant qu’entraîneur, notre mission est de maximiser de façon durable la capacité physique de nos membres. Nous voulons qu’ils puissent faire plus de ce qu’ils doivent et aiment faire, pendant plus longtemps dans leur vie. Notre rôle est de guider, d’accompagner nos membres dans le processus qui mène à l’intégration de l’entraînement dans leur quotidien. Même si chaque coach possède énormément de latitude sur comment elle ou il décide d’accompagner ses membres, une période de développement est nécessaire pour qu’un entraîneur devienne réellement un professionnel autonome.

Un état d’esprit responsable du résultat de ses actions

La plus grande difficulté de cette période de développement n’est pas dans la mise à niveau technique reliée à l’enseignement d’un clean ou d’un pull-up. Bien que la maîtrise de ces bases soit essentielle, nous pouvons aisément transmettre ces compétences à un nouvel entraîneur. Par expérience, nous pouvons dire que la plus grande difficulté est d’établir un état d’esprit, puis les habitudes d’un professionnel responsable du résultat de ses actions. Cela veut dire de passer d’un état d’esprit passif à actif dans son propre cheminement, assumer ses responsabilités et d’affronter avec vigueur les défis de développement de clientèle, de relations entraîneur/membre, de gestion de groupe et de structure de son propre horaire.

Un nouvel entraîneur chez Engrenage n’est pas laissé à lui-même. Elle ou il peut s’attendre à être accompagné de près par un entraîneur qui est déjà passé à travers ce même processus. L’objectif de l’accompagnement est de profiter de l’expérience que nous avons accumulée avec les années sur chacun des éléments qui forment un entraîneur professionnel. Avec le temps, celui-ci est réduit en proportion de la progression, et donc de l’autonomie, du nouvel entraîneur.

Un processus entièrement méritocratique

Même une fois totalement autonome, nous continuons de travailler en équipe pour identifier nos faiblesses, communiquer l’information pertinente à l’ensemble des membres, et profiter des meilleures pratiques que chaque entraîneur découvre par expérience et par formation continue. Nous sommes individuellement responsables du service donné à nos membres, mais nous sommes néanmoins une équipe dans l’atteinte d’une mission commune.

Le processus qui mène à devenir un entraîneur professionnel, avec les conditions et le revenu qui le prouve, n’est pas pré déterminé dans sa durée. Ce processus est entièrement méritocratique; plus un individu y met d’efforts et de rigueur, plus il y arrivera rapidement. Mais nous pouvons affirmer qu’il est pratiquement impossible d’y arriver à l’intérieur de notre système en moins de 2 ans, et cela en considérant que l’individu possède déjà des connaissances de base solides. Somme toute, nous pouvons réalistement estimer de 2 à 5 ans la période nécessaire pour développer une structure professionnelle et une clientèle qui mène à une stabilité de revenu annuel de 50 000 à 100 000$.

Caractéristiques personnelles

Je crois nécessaire de communiquer ce que nous avons appris avec le temps par rapport aux caractéristiques personnelles qui semblent contribuer positivement au succès et à la satisfaction professionnelle d’une ou d’un entraîneur chez Engrenage. Notre travail est avant tout de travailler avec des humains, avec leur réalité individuelle, pour comprendre ce qui les limite et les aider à progresser à partir de là. Cela implique énormément d’accompagnement, d’éducation, et nous croyons que pour avoir la patience et l’intérêt nécessaire pour y arriver, un entraîneur doit aimer travailler avec l’humain en plus d’avoir une intelligence émotionnelle plutôt développée.

Nous voulons travailler avec un bon humain

Cette même intelligence émotionnelle est définitivement un atout au-delà de la relation avec chaque membre. Elle aide à comprendre et à gérer la dynamique de groupe qui habite la communauté du gym, et augmente la qualité et la fluidité de la communication dans l’équipe d’entraîneurs. (Nous voulons non seulement travailler avec un bon entraîneur, nous voulons travailler avec un bon humain.)

Pour travailler en équipe, mais aussi pour se développer comme professionnel, nous avons appris qu’un entraîneur doit faire preuve d’humilité. Cela ne veut pas dire de se diminuer dans sa valeur, ses expériences ou ses compétences, mais plutôt de reconnaître les limites de celles-ci pour ensuite travailler à les dépasser.

Intelligence émotionnelle, humilité et désir d’avancement

Et finalement, pour qu’un entraîneur se développe en un professionnel dans notre structure, il doit absolument « avoir faim » pour y arriver. Nous avons choisi de créer notre propre chemin, différent de la structure d’entreprise conventionnelle des gyms, et chaque entraîneur doit « avoir du chien » à la fois pour contribuer à cette structure et pour réussir personnellement. Encore une fois, nous préférons être sélectifs dans le type d’humain avec qui nous travaillons.

Sans ces caractéristiques d’intelligence émotionnelle, d’humilité et de désir d’avancement, nous croyons qu’un entraîneur n’arrivera jamais à s’intégrer dans notre équipe, à construire les relations professionnelles à long terme nécessaires à son succès et, surtout, ne sera jamais heureux dans ce processus. Nous préférons être clairs dès le départ.

Conclusion

Des difficultés et un sentiment de raison d’être

Du point de vue de l’entraîneur, Engrenage est un projet, un pari qu’il est possible de créer une structure d’entreprise qui permet une carrière et de maximiser l’impact de cette profession. Pour y arriver, nous devons assembler une équipe composée d’individus motivés par ce défi et interpellés par cette carrière. Nous ne connaissons pas le chemin exact pour atteindre notre but. Nous pouvons seulement promettre qu’il y aura des difficultés à surmonter et un sentiment de raison d’être dans les efforts pour y arriver. Et nous sommes de ceux qui croient que cela définit un parcours qui vaut la peine d’être fait.

Références

Salaire moyen d’entraîneur au Canada : Autour de 38 000$ / année
1. https://neuvoo.ca/salaire/?job=entraineur+personnel , avril 2019
2. https://emplois.ca.indeed.com/Emplois-Entraîneur-Personnel-Entraîneuse-Personnelle ,avril 2019

Salaire médian au Saguenay Lac Saint Jean de 40 706$ / année, statistique accessible en avril 2019
3. http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/profil02/societe/marche_trav/indicat/rev_trav_sexe_mrc02.htm

À propos de l’auteur

ÉTIENNE BOOTH

Fondateur d’Engrenage, Étienne partage le plus gros de son temps entre ses rôles d’entrepreneur et d’entraîneur. Son passé d’instructeur en plein air lui a appris sur l’humain et les groupes. Son M. Sc. en médecine expérimentale lui a appris à être critique devant la science et lui a ouvert l’opportunité d’enseigner la psychologie sportive à l’Université du Québec à Chicoutimi. Engrenage lui permet de mettre en œuvre l’ensemble de ses expériences.