Plates & Barbell

EDE – Introduction

Si quelqu’un peut me réfuter – me montrer que je fais une erreur ou que je regarde les choses de la mauvaise perspective – je changerai volontiers. C’est la vérité que je recherche, et la vérité n’a jamais fait de mal à personne. Ce qui nous fait du mal est de persévérer dans l’auto-illusion et l’ignorance.

-Marcus Aurelius

L’entraînement ne devrait pas avoir à être défendu

Ce que vous lisez ne devait pas avoir l’envergure d’un livre.

Au départ, je me suis mis à écrire pour moi-même, pour démêler et comprendre mes propres émotions.

Je cherchais à comprendre pour être en paix. Dans le processus, j’ai dû tenter de désembrouiller la complexité d’une situation bien plus grande que ma propre personne.

Lorsque j’ai réalisé que mon travail avait peut-être de la valeur pour d’autres, j’ai initialement cru pouvoir tout résumer à l’intérieur d’un post sur les médias sociaux, ou peut-être même une série d’articles de blogues plus détaillés. Mais je n’ai certainement pas initié ce projet avec l’objectif d’écrire un livre.

Je suis en fait surpris du résultat que vous avez devant vous.

Pour être honnête, j’ai déjà entretenu l’idée d’écrire un livre quelque part dans le futur, mais uniquement lorsque j’aurais quelque chose de pertinent à dire, probablement après l’accumulation des expériences d’une carrière et d’une vie bien remplie. Devant le fait accompli, il semble maintenant évident que j’avais quelque chose à dire, quoi que la pertinence du contenu reste à vous de déterminer. Mais je reste néanmoins surpris.

Cette surprise s’explique avant tout parce que je ne pensais jamais devoir défendre l’entraînement.

Je suis propriétaire d’un gym, Engrenage, situé à Chicoutimi, Québec, Canada. Certains préfèrent le terme plus glorieux d’entrepreneur, mais la simple réalité est que je suis propriétaire d’un gym. Un espace commercial rempli de poids et d’équipements qui permet de déplacer ces poids et son corps dans différents plans. Un gym. Comme tous les propriétaires, j’entretiens à tort ou à raison l’illusion que mon entreprise est spéciale.

Dans mon cas, j’aime croire que l’emphase que nous mettons sur la relation professionnelle à long terme entre l’entraîneur et le membre nous distingue, que cela améliore l’intégration régulière de l’entraînement et donc l’impact que nous avons dans la vie des gens. J’entretiens l’idée que, au final, l’entreprise est plus résiliente en conséquence de cette particularité. Il est aussi possible (je n’ose pas utiliser le terme « probable ») que j’exagère ces différences parce que c’est ce qui me permet, comme tous les propriétaires de petites entreprises, de justifier les efforts requis pour affronter l’adversité nécessaire à la survie de celle-ci.

Mais je crois que ce qui est commun à tous les propriétaires de gyms, de centres d’entraînement et services de préparation physique, est de voir l’entraînement comme important. Au minimum, de croire que l’activité physique a un impact positif sur la santé. Je suppose aussi que cette croyance n’est pas exclusive aux propriétaires d’entreprise qui offrent l’entraînement en service. L’activité physique comme composante de la santé est si intégrée dans notre éducation de base, si constamment répétée dans son influence par les instances de santé publique, qu’il me semble que son importance est connue de tous.

Au-delà des connaissances théoriques, la raison pour laquelle je crois encore maintenant que tous et chacun savent au fond que l’activité physique est reliée à la santé est parce que nous sommes tous humains. Nous avons tous un corps. Nous avons tous l’expérience d’utiliser ce corps pour la fonction, le travail et le loisir. Et nous avons tous connu la conséquence immédiate de bien être qui en résulte.

Le retour d’information est trop clair, trop instantané, trop intégré dans notre système de récompense d’hormones et de neurotransmetteurs pour être ignoré. C’est presque comme si nous avions évolué pour être encouragé à utiliser notre corps. Après avoir bougé, nous sentons la différence. Notre humeur est meilleure, contre toute attente notre niveau d’énergie est plus élevé, nos pensées sont plus claires et notre niveau de stress est réduit. Je mentionne tout cela non pas comme une preuve scientifique de l’importance de l’entraînement (même si nous allons y venir), mais simplement pour supporter l’idée que tous les humains ont à un certain moment expérimenté les bienfaits de l’activité physique.

Cette expérience est similaire à la satisfaction de boire lorsque nous avons soif. À l’inverse, le résultat de l’absence de mouvement est similaire à ne pas répondre aux besoins de base de boire, manger ou dormir. Totalement immobilisé, le corps (et souvent l’esprit) s’atrophie rapidement. De façon moins extrême, même une réduction partielle de l’activité physique quotidienne est suffisante pour nous affecter. Nous sentons que nous sommes plus irritables, plus anxieux, moins concentrés, et notre niveau d’énergie est plus faible.

Le corps est incroyablement résilient et les demandes physiques de notre société moderne sont minimales. Je crois qu’il est malheureusement possible de se convaincre du manque d’importance ou de réellement oublier l’effet de bouger. Mais éventuellement, une demande physique équivalente à monter quelques étages par les escaliers nous fait réaliser que notre capacité a diminué et nous reprenons contact avec l’utilité de l’activité physique, même si cela n’est que pour le temps de reprendre son souffle.

Le mouvement fait partie d’avoir un corps, et d’être un humain.

La valeur de l’entraînement me semble trop évidente, ses arguments et ses preuves trop disproportionnellement en sa faveur pour entamer un débat.

C’est pourquoi je n’aurais jamais cru nécessaire de me porter à la défense de l’entraînement.

Puis la pandémie de la Covid-19 est arrivée.

Covid-19

En mars 2020, la communauté internationale a réalisé être aux prises avec une pandémie mondiale.

En réaction à cette menace, le gouvernement provincial a pris la décision de « mettre le Québec sur pause ». La vaste majorité de l’économie a été arrêtée. Les rues étaient désertes. Il est facile de l’oublier, mais dans ces premières semaines, la peur régnait. Cette peur était largement alimentée par l’incertitude reliée au SRAS-CoV-2 comme virus et le danger de la maladie qu’elle engendre, la Covid-19.

Dans cet état d’urgence, la mise en arrêt de la société était compréhensible. La propagation devait rapidement être contrôlée et de stopper nos interactions professionnelles et sociales semblait le moyen le plus évident pour y arriver. Du temps était aussi nécessaire pour comprendre la menace, évaluer la situation, et organiser la société en conséquence.

Comme pour le reste de l’économie de la province, les gyms, centres d’entraînement et autres entreprises de préparation physique ont fermé. Il y avait alors une acceptation de la nécessité d’agir devant l’urgence, et un sentiment d’équité dans le fait que cette mise en arrêt s’appliquait à tous.

Mais ce sentiment s’est effrité à mesure que la quasi-totalité des secteurs économiques ont repris leurs activités en s’adaptant aux mesures sanitaires en vigueur.

Le secteur industriel, le secteur manufacturier, la construction et la rénovation, les écoles primaires, secondaires, cégeps et universités, les lieux de culte, les lieux culturels, les garderies, les entreprises de service et commerces de détail catégorisés comme non essentiels, les entreprises touristiques, les centres d’achats, les professionnels de la santé comme les dentistes et massothépeutes, les soins esthétiques comme les coiffeuses et la pose d’ongles, les salles à manger des restaurants et même les sports individuels et d’équipes ont repris leurs activités présentielles avant les centres d’entraînement.

Le sentiment d’équité a donc graduellement fait place à l’incompréhension, puis à la frustration que mon entreprise soit traitée comme un service inférieur au reste de l’économie. Déjà, cette priorisation réveillait chez moi un désordre de sentiments confus et difficile à décrire, mais qui m’indiquait qu’il y avait un problème de fond dans la perception de valeur de l’entraînement pour la société. Il y avait une énorme différence entre ma propre perception de la contribution de notre service à la santé physique et psychologique de nos membres et le traitement du gouvernement envers l’industrie de l’entraînement.

Enfin, après un trimestre entier où il était non seulement illégal d’offrir l’accès à des installations permettant l’entraînement, mais où il était aussi illégal pour un entraîneur d’offrir ses compétences en personne, les gyms ont pu rouvrir.

L’accalmie a été de courte durée.

Trois mois plus tard, en octobre 2020, une deuxième fermeture forcée a été décrétée en « zone rouge », une catégorisation qui a atteint l’ensemble des régions à plus forte densité et la vaste majorité de la population du Québec. L’objectif et l’explication mise de l’avant par le gouvernement du Québec pour justifier cette nouvelle fermeture étaient de :« cesser les activités non essentielles pour lesquelles le risque ne peut pas être contrôlé ».

En conséquence, la quasi-totalité des centres d’entraînement de la province ont de nouveau fermé leurs portes.

Mais cette fois, les centres d’entraînement ont fait partie de la minorité de l’économie qui a été totalement arrêtée, catégorisés dans une classe d’activité économique considérée superflue au fonctionnement de la société, regroupés avec les bars, casinos, restauration sur place, institutions muséales et parcs d’attractions. La quasi-totalité de l’économie pouvait s’adapter et continuer d’opérer, mais les centres d’entraînement devaient fermer.

Cette fois, il n’y avait pas de sentiment d’équité.

Question essentielle

Dès le début de la pandémie, mon équipe d’entraîneurs et moi sommes questionnés à savoir quelle direction prendre, comment réagir aux défis engendrés par la fermeture de nos installations.

Nous avons rapidement décidé que nous avions l’obligation éthique de trouver des solutions pour accompagner nos membres. Nous nous étions engagés envers eux à les aider à prendre soin de leur santé physique et psychologique à travers l’entraînement. La pandémie n’avait aucunement invalidé cet engagement. En fait, le contexte n’avait qu’exacerbé le besoin, devenu démesurément plus présent alors que le stress et l’incertitude grandissaient dans leur vie.

La solution facile aurait été de mettre la clé dans la porte, de rembourser ou de mettre les abonnements des membres en pause, et de reprendre nos activités une fois la tempête terminée. Mais cela aurait été d’agir à contresens de la raison première pour laquelle nous nous étions engagés dans le projet d’Engrenage.

Le statisticien du risque, investisseur et (à mon avis) philosophe Nassim Nicholas Taleb a écrit que : « En science, il faut comprendre le monde. En affaires, il faut que les autres ne le comprennent pas. »

Comme entrepreneur, je capitalise sur le fait que l’entraînement est mal compris. J’ai conscience que l’entraînement est souvent perçu comme un loisir, trop souvent relié à la poursuite de l’image corporelle et de l’égo. Une certaine partie de l’industrie de l’entraînement répond précisément à cette demande. Mais je suis d’avis que de limiter l’utilité de l’entraînement au superficiel est une erreur massivement contreproductive pour la société.

Il y a tellement d’avantages et à toutes fins pratiques aucun inconvénient à s’entraîner intelligemment. Dans l’immédiat, le bénéfice de confronter un défi physique sur lequel nous avons tout le contrôle est avant tout psychologique; cela nous rappelle que nous ne sommes pas démunis devant l’adversité. Sur le long terme, l’intégration de l’entraînement nous rend plus fonctionnels à travers le temps (ce qui est une définition adéquate de la santé), augmentant par le fait même notre productivité et notre qualité de vie.

J’ai démarré Engrenage parce j’ai vu un énorme potentiel inexploité, la possibilité de créer une entreprise répondant à un besoin fondamental, où mes efforts pouvaient réellement contribuer à améliorer la vie des gens.

Mon équipe et moi partageons la profonde conviction que l’entraînement est bénéfique pour tous.

Quelle valeur possède cette conviction si, au premier signe de difficulté et au moment de leur plus grand besoin, nous abandonnons les personnes qui nous ont fait confiance pour les aider?

La réponse à notre question était donc évidente, mais non moins difficile à exécuter.

Nous avons décidé de nous battre pour continuer d’accompagner nos membres, peu importe l’effort, peu importe les conditions.


En Défense de l’Entraînement (EDE) est une réflexion sur la contribution de l’entraînement à un monde en crise. L’article suivant, Nouvelle normale, est disponible ici.

À propos de l’auteur

ÉTIENNE BOOTH

Fondateur d’Engrenage, Étienne partage le plus gros de son temps entre ses rôles d’entrepreneur et d’entraîneur. Son passé d’instructeur en plein air lui a appris sur l’humain et les groupes. Son M. Sc. en médecine expérimentale lui a appris à être critique devant la science et lui a ouvert l’opportunité d’enseigner la psychologie sportive à l’Université du Québec à Chicoutimi. Engrenage lui permet de mettre en œuvre l’ensemble de ses expériences.