En Défense de l’Entraînement (EDE) est un essai sur la contribution de l’entraînement à un monde en crise. L’article précédent, Nouvelle normale, est disponible ici.
Dans cet état, j’étais méfiant de mon propre jugement, suspicieux de mes émotions en réaction à la situation. Je percevais des incohérences qui me semblaient flagrantes, en commençant par l’absence de valeur attribuée à l’entraînement, et sa qualification de « non essentielle » par le gouvernement du Québec. Chaque fibre de mon être rejetait cette catégorisation, mais peut-être que j’étais simplement exténué, incapable de reconnaître l’évidence de mon erreur de jugement, submergé par le biais de mes expériences personnelles et mes intérêts professionnels.
Certainement, les autorités compétentes devaient avoir pesé les conséquences de proscrire l’accès aux installations et à l’expertise permettant l’entraînement, le sport et l’activité physique…
Puis des pensées récurrentes revenaient inévitablement à la charge. N’est-ce pas la Santé publique elle-même qui fait normalement la promotion de l’activité physique comme un aspect essentiel à la santé de la population? Est-ce qu’il existe une seule étude scientifique, ou même un seul argument raisonnable, pour conclure que l’entraînement, le sport et l’activité physique n’ont aucun effet bénéfique sur la santé?
Peu importe comment je retournais la question, je n’arrivais tout simplement pas à expliquer de manière cohérente la position du gouvernement. Qu’est-ce que je ne voyais pas pour en arriver à cette qualification de « non essentielle »?
Et si la valeur de l’entraînement était centrale à mon attention, j’avais aussi des doutes périphériques sur le caractère « incontrôlable » du risque de transmission de sa pratique.
Cette catégorisation ne me semblait tout simplement pas…logique.
L’Organisation mondiale de la santé, les gouvernements du Québec, du Canada, des États-Unis, la Santé publique de chaque nation, leurs représentants, médecins conseillés et experts scientifiques; toutes les sources officielles étaient unanimes à nous communiquer par leurs documentations et communications que le SRAS-CoV-2 se transmettait principalement par de grosses gouttelettes qui tombaient rapidement au sol.
Il y avait peut-être, dans certains cas rares, la possibilité d’une transmission appelée « aérienne », où des particules infectieuses en suspension dans l’air pourraient théoriquement être inhalées. Cette mention venait cependant toujours avec l’explication rassurante que la transmission aérienne jouait au mieux un rôle négligeable parce qu’elle était surtout plausible pendant certaines procédures médicales générant des aérosols (comme l’intubation), et que les professionnels de la santé qui exécutaient ces tâches étaient protégés en conséquence.
Autre que dans ces circonstances, la transmission aérienne du SRAS-CoV-2 n’était donc pas à craindre.
Autrement que par contact physique direct, le message officiel était que le risque à la population générale provenait du fait que ces grosses gouttelettes pouvaient tomber directement sur nos yeux, dans notre nez, dans notre bouche, sur nos mains ou une surface qui était ensuite touché avant de transporter le virus jusqu’à une de ces muqueuses. Le lavage des mains et la désinfection des surfaces, la distanciation et le port du masque de procédure étaient donc des mesures efficaces pour contrer le risque de transmission, et les meilleurs outils alors disponibles à l’humanité pour combattre la pandémie.
Intuitivement, la distanciation me semblait tout aussi possible dans un centre d’entraînement que dans le reste des entreprises, voire même souvent plus facile à respecter étant donné l’espace déjà requis par l’activité physique. Après l’avoir moi-même testé, j’en suis venu au constat que le port du masque pendant l’entraînement était certainement inconfortable, mais que son utilisation était possible et largement préférable aux conséquences de l’inactivité physique.
Et en comparaison à la quasi-totalité des commerces et environnements publics, les centres d’entraînement avaient des avantages clairs; la circulation était déjà limitée par un système de contrôle d’accès physique, et les normes de salubrités existantes ne nécessitaient que des modifications mineures pour assurer la désinfection systématique et redondante de l’équipement.
Alors si ces mesures étaient efficaces et réalistement applicables, qu’est-ce qui faisait de l’entraînement, comparativement à l’ensemble des activités économiques permises, une pratique au risque foncièrement incontrôlable?
Il y avait pour moi une absence de logique entre les modes de transmission qui nous étaient communiqués, les mesures pour en contrôler le risque, et le traitement des services d’entraînement.
J’avais le sentiment que les centres d’entraînement étaient considérés comme un risque « incontrôlable » simplement parce que les autorités ne s’étaient pas donné la peine d’y réfléchir, en bonne partie parce que la valeur perçue de l’entraînement ne justifiait pas l’effort pour le faire.
De cette réflexion initiale, d’autres incohérences planaient dans mon esprit et ne faisaient que renforcir cette impression.
Certaines étaient spécifiques à un titre professionnel ou un code d’activité économique :
Pourquoi était-il permis à un kinésiologue d’offrir ses services dans une clinique, mais illégal pour un kinésiologue d’offrir les mêmes services dans un centre d’entraînement? Et pourquoi, dans certains cas, permettre l’ouverture des installations sportives, mais en même temps interdire les opérations des centres d’entraînement?
D’autres étaient générales, mais me semblaient tout aussi irrationnelles :
Pourquoi interdire l’entraînement, le sport et l’activité physique à plus d’une personne, à l’extérieur et sans contact, si l’espace disponible permet une distanciation neutralisant le risque de transmission par grosses gouttelettes qui tombent rapidement au sol? Et pourquoi permettre à plusieurs personnes de pratiquer une activité individuelle dans un environnement donné, mais d’interdire que la même quantité d’individus, pratiquant la même activité dans le même environnement, soit supervisée?
D’un point de vue de gestion de risque, ces décisions n’avaient absolument aucun sens pour moi.
J’étais profondément fatigué. Je craignais l’anéantissement d’un projet qui me tenait à cœur. Je sentais le stress de décevoir mon équipe, d’abandonner nos membres. J’étais conscient des répercussions de perdre notre source de revenus. Je percevais des incohérences majeures, autant dans la valeur accordée à l’entraînement que dans les décisions pour en contrôler le risque, et j’étais en conséquence constamment habité de doutes et de questionnements.
Dans les premiers mois de 2021, je n’étais qu’un amas confus et désordonné d’émotions.
Alors je me suis mis à écrire.
Initialement, j’écrivais pour moi. J’avais simplement besoin de mettre de l’ordre dans mes pensées pour comprendre l’origine de mes propres frustrations. En structurant ces pensées sur papier, j’espérais pouvoir avoir une emprise sur elles, me battre contre le sentiment d’impuissance qui vient avec le poids d’un problème omniprésent, mais indéfini.
Puis j’ai réalisé que de définir les différentes variables du problème n’était pas suffisant. Pour aller au bout de cette réflexion, je devais départir les faits de mes perceptions.
Est-ce que l’entraînement était réellement essentiel, ou est-ce que je me bernais moi-même à exagérer son importance?
Est-ce que le risque de l’entraînement était réellement contrôlable, ou est-ce que je prenais inconsciemment cette position pour protéger mes convictions et mes intérêts économiques?
J’étais conscient que de commencer à creuser mènerait possiblement à invalider mes croyances. Alors au lieu de craindre cette éventualité, je me suis mis à la rechercher activement. J’étais tellement exténué que je voyais la résolution la plus rapide comme étant le parcours à privilégier. Plus vite j’arriverais à me prouver à moi-même que j’étais dans l’erreur, plus vite je pourrais être en paix avec la situation.
J’ai commencé à chercher, lire, et réfléchir pour réfuter mes perceptions, pour démontrer que l’entraînement était dans les faits non essentiel, et que le risque de sa pratique était incontrôlable.
Mais mes efforts ont eu l’effet inverse.
Je n’arrivais tout simplement pas à trouver un iota de preuve pour soutenir l’idée que l’entraînement ne devrait pas être traité comme essentiel à la santé de la population. Au lieu, j’ai commencé à déceler des éléments qui, ensemble, révélaient une erreur de perception de ce qu’est l’entraînement, un manque de reconnaissance de son effet (tout comme celui de son absence), et un profond problème de son intégration dans notre système politique et légal.
En même temps, lorsque j’ai tenté de comprendre et prouver le raisonnement officiel du risque de transmission du SARS-CoV-2, je suis éventuellement tombé sur des voix dissidentes, mais crédibles, qui semaient le doute sur le modèle de transmission qui nous était présenté par les autorités de Santé publique.
Un groupe de scientifiques sonnaient l’alarme pour indiquer qu’une monumentale erreur avait été commise. Selon eux, le SRAS-CoV-2 ne se transmettait probablement pas par de grosses gouttelettes qui tombent rapidement au sol, mais par inhalation d’aérosols infectieux. Ils soutenaient que ces aérosols n’étaient pas seulement produits pendant certaines procédures médicales, mais plutôt expulsées en continu par le simple fait de respirer, parler, chanter, tousser…
Oui, le lavage des mains, la désinfection, la distanciation et le port du masque avaient un rôle à jouer, mais la dilution et l’évacuation des contaminants aériens par la ventilation de nos environnements intérieurs étaient selon eux le moyen principal de contrôler la pandémie. Ils encourageaient les gens à transférer un maximum de leurs activités à l’extérieur, incluant l’activité physique, le sport et l’entraînement.
Et malgré l’ampleur de leurs déclarations, étrangement, leurs arguments étaient rationnels, sensés, et concordaient avec des observations empiriques que le modèle officiel pouvait difficilement expliquer.
Pourquoi est-ce que les événements super-propagateurs étaient tous dans des environnements intérieurs? Comment était-ce physiquement possible qu’un seul individu arrive à infecter des dizaines de personnes en très peu de temps, malgré les mesures sanitaires qui auraient dû prévenir la transmission? Pourquoi n’y avait-il pas de nouvelle référant à la propagation incontrôlable dans les rues, les plages et les parcs bondés de gens célébrant le premier déconfinement ou manifestant contre les mesures sanitaires?
Il était néanmoins difficile d’accepter leurs conclusions. Après tout, la planète au complet était affectée par les répercussions de la pandémie, et ses nations mettaient tout en œuvre pour la contrôler. L’économie mondiale était en arrêt, les systèmes de santé sur le point d’imploser, et la science médicale œuvrait sans relâche pour nous délivrer avec un vaccin.
Les efforts de l’humanité étaient dirigés pour combattre la pandémie de la Covid-19.
Logiquement, une erreur de cette taille, considérant ses implications, aurait rapidement été repérée et corrigée par les pouvoirs compétents.
Et pourtant.
Il y avait quelque chose de troublant dans la cohérence de la transmission aérienne du SRAS-CoV-2.
Et si la transmission aérienne s’avérait être le mode de propagation dominant des environnements intérieurs, l’entraînement serait stigmatisé comme incontrôlable non pas parce qu’il l’était véritablement, mais parce qu’aucun effort n’était déployé pour contrôler le risque réel.
Au lieu de m’apaiser, plus je creusais pour comprendre, plus il y avait quelque chose d’encore plus profond, de plus complexe et plus puissant, qui bouillait en moi.
En Défense de l’Entraînement (EDE) est un essai sur la contribution de l’entraînement à un monde en crise. L’article suivant, Compter les corps, est disponible ici.